N° 593 Paracha « Vayétsé » – 11 Mar’heshvan 5767 – ב« ה
RAV SHLOMO AVINER
UNE CONVERSATION TELEPHONIQUE
– Allô ! Tu m’entends … ?
– Allô ! Allô !
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Allô ! Bonjour Jacob ! Comme je suis heureuse d’entendre ta voix ! Tu ne peux pas t’imaginer… !
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Allô!
Tu ne m’entends pas ? Comment est-ce possible ? Moi je t’entends comme si tu étais à côté de moi !? Et maintenant, c’est mieux ?
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Avec qui désirez-vous parler ?
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Avec toi, Jacob ! Avec toi, avec toi ! Esthy à l’appareil ! Je t’en prie, fais un effort pour écouter ! Esthy, ta femme, à l’appareil !
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Qui ?
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Esthy ! Tu ne reconnais pas ma voix ? Esthy à l’appareil, mon chéri, Esthy ! Comment vas-tu !
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Bien. Et toi ?
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Pas bien. Quand rentres-tu ? Tu ne peux pas t’imaginer combien je me languis de toi, mon chéri ! Tous les soirs, tu rentres si tard, et moi je ne peux plus supporter la solitude. Mon chéri, quand reviens-tu ? Tu m’avais dit que tu reviendrais à 6 heures et il est déjà 9 heures et demie ! J’ai l’impression de ne pas t’avoir vu depuis des jours. Tu m’avais dit que tu ne rentrerais tard que pendant quelques jours et ça fait déjà deux semaines. Jacob, mon chéri, je me languis de toi ! S’il te plaît ? …
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Esther, je n’entends pas un mot, parle plus fort.
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Bon. Maintenant tu m’entends ?
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Oui, je t’entends mieux. Mais ne parle pas si vite. Que disais-tu ?
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Je disais que je suis si triste d’être sans toi, seule, chaque soir, chez nous. J’ai l’impression que je vais tourner à la folie. Pourquoi ne me réponds-tu pas quand je t’appelle ?
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Je te promets, Esther, je n’ai pas eu une seconde de libre, je travaille sans arrêt comme une bête, on est obligé de terminer ce rapport.
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Vraiment, excuse-moi, mon amour. Je pleure mais je ne veux pas qu’on sache pourquoi je souffre.
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De ma vie, je ne suis jamais tombé sur un téléphone aussi mauvais. Qu’est-ce qui se passe ? De quoi souffres-tu ?
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J’ai dit que je souffrais d’être seule, j’ai besoin de toi, Jacob. Comment vas-tu !
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Très fatigué. Et toi, comment vas-tu ?
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Je t’attends, mon chéri, je me languis de toi. Quand viendras-tu ? …
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Comment je peux t’entendre alors que tu parles à voix basse ? Parle plus fort…! … Oh ! Bonjour Mirla ! Comment allez-vous ? Entrez, entrez ! Mettez-vous à votre aise ! Pendez votre manteau. Je vous en prie, servez-vous du thé ou du café. Je vais vous donner le dossier du rapport, je termine ce coup de téléphone dans un moment… Ecoute, Esther, il y a un vacarme terrible dans la rue. Je m’entends à peine. Allez, gentille petite fille, nous parlerons ensemble lorsque je rentrerai, directement cette fois …
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Ces choses-là, je ne peux pas les crier par téléphone. Jacob, mon chéri, comprends-tu ce que je te dis ?
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Comment veux-tu que je comprenne ? Tu chuchotais et maintenant tu hurles. Je n’entends pas un mot …
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Jacob, écoute-moi, je suis obligée de te parler !…
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Un moment, on frappe à la porte…
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Je vais mourir si je ne peux pas te parler ! Que t’arrive-t-il, mon chéri, tu ne veux pas me parler ? Tu ne m’aimes plus, Jacob ? C’est la raison ? Tu en as assez de moi, Jacob ? …
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Ouf ! A nouveau, je n’entends plus rien !
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Je t’en supplie, Jacob, écoute-moi ! Quand rentres-tu ? J’ai tant besoin de toi…
– Oui, oui ! Voilà ! C’est toute la question, je voulais en parler avec vous ce soir. Excusez-moi, Mirla, je suis à vous dans un moment.
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Jacob, je t’en supplie, es-tu prêt à écouter une phrase ?
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Un moment. – Excusez-moi, Mirla, je suis désolé de vous retenir à une heure si tardive ! Dans un moment je serai disponible pour vous, le temps de terminer la conversation qui d’ailleurs revient cher. – Ecoute, Esther, je rentre dans un moment, tes conversations coûtent beaucoup d’argent. Tu n’aurais pas dû me téléphoner.
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Qu’importe si elles reviennent cher ?!
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Allô ! Tu comprends, Esther ? On a beaucoup de travail ici. Dans une semaine ou deux je pourrai souffler.
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Non Jacob, non. Je t’en supplie, ne me laisse pas seule. Je dois te voir. Si tu ne viens pas tout de suite je cours au bureau, je n’en peux plus, mon chéri…
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Ecoute, Esther, je ne comprends rien quand tu parles avec tant d’émotion et qu’il y a du bruit dans la rue. Esther, dis-moi au revoir et va te reposer.
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Jacob, ne me laisse pas comme ça, Jacob, mon chéri ! Dis-moi un mot pour me calmer ! Dis-moi que tu m’aimes, que tu m’aimes !…
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Ouf ! Le tumulte est insupportable ! Je t’entends à peine ! Merci de m’avoir téléphoné.
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Jacob, ne t’en vas pas, j’ai besoin de te parler. Je ne parlerai pas fort, je te promets, je ne pleurerai pas non plus. Comme ça, tu m’entendras. Je t’en supplie… Jacob… Jacob… Oh ! Ca s’est coupé …
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Allô ! C’est encore toi, Esther ?!
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Non, ça n’a pas d’importance. Excuse-moi de t’avoir dérangé. Au revoir.
(D’après « une Conversation téléphonique «
de la romancière Dorothée Parker)