N° 588 Paracha « Noa’h » – 29 tichri 5727 – בס« ט
RAV SHLOMO AVINER
LE MAL TRAVERSE UNE CRISE
Moi, le « Mal », ne me voyez pas comme une créature repoussante, non. Je suis cultivé, poli, intelligent et érudit. Je sais l’art de fournir des arguments à chaque groupe de la société pour le dissocier des autres. Si on œuvre ainsi, on arrivera bien à désagréger la nation et à me mettre au pouvoir.
Je ne méprise pas les autres « Satans » celui de l’idolâtrie, des infractions aux interdits sexuels et l’instinct sanguinaire, par exemple. En s’y mettant à trois, ils ont détruit la nation et réussi à l’exiler. Mais cela n’a duré que 70 ans, « Résultats à peine suffisants », si je devais leur donner une appréciation. En revanche, grâce à la haine gratuite, j’ai causé la destruction du second Temple, il y a presque deux millénaires. Je ne méprise pas non plus les Satans d’aujourd’hui, je travaille en étroite collaboration avec eux, celui qui a sapé le système scolaire, la pudeur etc. Mais, en toute modestie, ils ne m’arrivent pas à la cheville.
Néanmoins, ces derniers temps, je m’inquiète de mes succès, bien modestes, je dois l’avouer. L’assassinat d’Arlozorov, par exemple, qui a suscité une haine terrible entre les habitants de droite et de gauche du « Yéshouv » (l’implantation juive en Eretz Israël avant la création de l’Etat), du beau travail ! C’est pourquoi j’espérais qu’après l’assassinat du Président du Conseil on assisterait à une guerre civile digne de ce nom ou, tout au moins, à un profond clivage au sein de la société, mais il ne s’est presque rien passé. J’avais aussi conçu de grands espoirs sur « l’Affaire de l’Altaléna » ; mais, elle non plus, n’a pas été suivie d’effets.
J’accuse l’Etat d’être responsable de cette situation. En diaspora, nous étions « dispersés et divisés » (Est. III, 8 ; cf. contexte). Aujourd’hui, l’Etat travaille sans cesse davantage à « unir », ce qui m’inquiète passablement. Autre exemple, les relations qui prévalaient il y a un siècle entre ultra religieux, non religieux et religieux nationaux. Dressés les uns contre les autres, ils n’acceptaient qu’à grand peine de dialoguer. A présent, au contraire, ils jettent des ponts.
C’est pourquoi je lance un vibrant appel à l’aide, seule manière de désagréger la nation. Par chance, notre arme logistique de division reste intacte et s’est même perfectionnée, la médisance. Quelles que soient leurs tendances, les religieux eux-mêmes ne considèrent plus comme une faute le fait de tenir des propos malveillants ou d’y donner foi, c’est là où la haine prospère. D’ailleurs, elle jouit de l’apport bénéfique des médias, journaux, radio, télévision, sans oublier notre jeune ami, membre du « Club des Salisseurs », l’Internet qui fait des prouesses. Mais ne gaspillez pas cette arme inutilement. Ne médisez pas de ceux qu’on connaît ; on finirait par ne plus vous croire et vous vous discréditeriez. Mieux vaut parler de ceux qu’on ne connaît pas, terrain bien plus fertile à l’épanouissement de la haine.
Tout succès en la matière est appréciable. Si vous parvenez à semer la haine dans un cœur, vous pouvez espérer que, par-là, peu à peu, vous la sèmerez aussi dans le cœur de la société. Il est bon d’appliquer tous ses efforts sur les extrémistes, impatients, qui parlent librement de guerre civile, ou encore sur ceux qui me donnent tant de satisfaction, ceux qui déclarent ouvertement s’y opposer. Au nom de « l’unité », disent-ils avec sagesse, il faut bannir tel ou tel groupe, conception géniale !
Ne méprisez pas les concurrents. Après bien des efforts, j’ai détruit la région de « Goush Katif », expulsant ses 8 000 habitants, hommes, femmes et enfants. Là encore, j’espérais qu’une guerre civile qui se respecte finirait par éclater. Ces gens –et ceux qui les soutiennent- ont fait une fixation sur « l’amour et la foi », comme ils disent.
Ainsi, les adeptes de la pensée du Rav Kook sont ceux qui font véritablement problème car « l’unité » est dans leur âme. Je déchire, ils recousent. Je divise, ils réunissent. Ils ont su immuniser « l’amour à l’égard d’Israël » –pour utiliser, à nouveau, leur terminologie- les épreuves et les crises. Ils ont érigé une théorie suivant laquelle chaque groupe de la société est nécessaire et vital. C’est pourquoi, attenter à leur renom ne suffit pas. On doit aussi les provoquer pour qu’ils entrent corps et âme dans la bataille. Mais plus on les bafoue et les persécute, plus ils se sentent dans leur droit et plus ils vivifient cet « amour ».
N’oubliez pas cette prière : « Puissé-je liguer les hommes les uns contre les autres, ne voir que les défauts –et pas les qualités- de mes amis, avoir le mérite d’être de ceux qui détruisent, en échapper à la vérité ».