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Rabbi Feuillet hebdomadaire
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F – « Paracha « Vayéra »

N° 639 « Paracha « Vayéra » – 15 Mar’heshvan 5768 – ב »ה

RAV SHLOMO AVINER
Directeur de la « Yéshiva » « Atéret Yéroushalaïm »


MOI, JE CHOISIS LE « HETER MEKHIRA »

(Traduit et adapté par Maïmon Retbi)

Question – Si on ne peut pas se procurer des produits agricoles par la procédure dite du « otsar beth din » (cf. explication ci-dessous), peut-on se montrer souple et utiliser celle du « héter mékhira » (vente des terres cultivables aux non Juifs durant l’année de jachère pour permettre aux agriculteurs juifs de les cultiver même durant cette année) ou est-elle interdite et doit-on acheter ces produits des non Juifs ?

Réponse – On doit tout faire pour les acheter chez les agriculteurs juifs. Tout d’abord, précisons que le « héter mékhira » n’est ni –à Dieu ne plaise- une transgression ni une manière tirée par les cheveux de se montrer souple mais une procédure on ne peut plus clairement institutionnalisée. Dans cette article, nous n’analyserons pas son aspect législatif, fondé en droit en 5649, il y a 119 ans, et corroboré par les Décisionnaires les plus éminents de notre temps : Rabbi Isaac El’hanan, Rabbi Yéhoshoua de Koutna, le « Maharil Diskin », « l’Admor » Naphtali Hertz, Grand Rabbin de Jaffa, « l’Admor » de Sokcotchov, le Primat de Sion, le Grand Rabbin Jacob Saül Elyashar, Rabbi Yossef Engel et notre Maître, le Rav Kook, géants au regard de notre génération, que l’on ne saurait contester. C’est pourquoi le Rav Tzvi Yéhouda Kook disait qu’en suivant cette procédure on accomplissait la « mitsva » (commandement, bonne action) « Sous sa forme la plus achevée » et que, par-là, « on faisait preuve de « zèle » (« Lintivot Israël » 2, 224).

Comme on sait, on doit toujours se méfier du « zèle » car il peut entraîner des déboires, comme l’expliquait Rabbi ‘Haïm Luzzato (« Sentier de Rectitude », Chapitre XX, « De la Pondération dans le Zèle ». Certes, on doit s’assurer que se reposer sur le « héter mékhira » n’est pas un prétexte à se montrer rigoureux pour justifier la souplesse ou, plus exactement, une solution de facilité ; auquel cas on devrait abandonner cette procédure.

En fait, nombreux sont ceux qui l’ont condamnée parce que, disaient-ils, elle entraîne des déboires. Au contraire. La refuser c’est, précisément, les attirer sur soi. Expliquons.

1. On fait perdre aux Juifs leurs sources de subsistance – Or il est dit : « Que ton frère vive avec toi » (Lev. XXV, 36), entendu par-là qu’on doit veiller à ce qu’il ne s’appauvrisse pas. « Achète auprès de ton semblable » (Lev. XXV, 14) : si on a le choix entre acheter auprès d’un non Juif ou d’un Juif, on choisira ce dernier, « notre semblable », même en dehors d’Israël.

3. On tourne en dérision les Premiers Décisionnaires – En qualifiant « d’interdits » les produits agricoles provenant du « héter mékhira », on dénigre non seulement les Décisionnaires de jadis et de naguère mais aussi nos ancêtres qui suivaient leurs prescriptions.

4. On méprise les autres – Un grand principe régit le « zèle » : ne pas prendre de haut ceux qui ne se conduisent pas suivant cette qualité (Traité de Jérusalem » « Bérakhot » 2 9) ; l’emploi du mot « interdit » révèle qu’on méprise ceux qui consomment des produits autorisés par cette procédure (« Lintivot Israël » ibidem).

5. Remise en question de l’autorité rabbinique – Un jour, enseignent nos Sages, Rabbi Tarfon lisait le « Shéma » en étant strict comme l’Ecole de Shamaï. Les Sages lui firent remarquer qu’il aurait dû être châtié pour avoir transgressé la loi rabbinique établie par l’Ecole de Hillel (Traité « Bérakhot » 10 b). L’affirmation semble pour le moins surprenante puisque l’Ecole de Shamaï était plus stricte (plus « zélée », pourrait-on dire) que celle de Hillel. Dès lors, pourquoi ce cinglant reproche ?!

En substance, Rabbi ‘Haïm Luzzato explique ainsi l’étonnement. Le peuple d’Israël supportait difficilement ces controverses d’écoles. Enfin, nos Sages décrétèrent qu’en principe, la loi rabbinique établie suivrait l’opinion de l’Ecole de Hillel. Par cette décision, ils évitèrent qu’il n’y eût -à Dieu ne plaise- deux expressions orales parallèles de la Thora écrite. C’est pourquoi, suivant ce récit, on affichera un « zèle » plus grand en se comportant suivant l’Ecole de Hillel même si elle est plus souple. Le grand moraliste explique qu’on doit s’inspirer de cette conception du monde pour se comporter avec foi et droiture envers l’Eternel (« Sentier de Rectitude », op. cit. fin).

6. « Ne leur accorde pas de considération » (relativement aux non Juifs qui usurpent notre terre ; Deut. VII, 2) – Certains Décisionnaires affirment qu’on transgresse le commandement restrictif de ne pas leur accorder de considération lorsqu’on favorise l’installation des non Juifs sur notre terre (cf. Traité « ‘Avoda Zara » 20 a). Plus on leur procure des moyens de subsistance, plus on les encourage à s’y enraciner ; c’est une évidence. Mentionnons en passant un argument erroné qu’utilisent les détracteurs du « héter mékhira » : le suivre, affirment-ils, c’est enfreindre le commandement ci-dessus mentionné. Or c’est exactement l’inverse car la procédure en question a précisément pour but d’encourager les Juifs à cultiver notre terre et à s’y implanter toujours d’avantage.

7. Encourager le terrorisme – Si on achète des produits agricoles en provenance de la région de Gaza, on soutient l’économie de ceux qui, constamment, cherchent à nous porter préjudice et, par-là, le terrorisme.

8. Des terres non juives qui, de fait, appartiennent à des Juifs –Celui qui, en Israël, achète des produits en provenance d’agriculteurs non juifs, se fonde sur le postulat qu’elles leur appartiennent, ce que contredit la réalité. S’ils en possèdent tellement, ce n’est pas parce qu’ils nous les ont achetées mais parce qu’ils s’en sont emparées au cours des générations lorsque nous en avons été expulsés même si, peut-être, ils en ont achetées un pourcentage minime, en en usurpant 99%. D’ailleurs, suivant la loi ottomane, celui qui cultive des terres non habitées les acquiert de droit. Les Arabes se sont fondés sur cette loi pour s’installer sur notre terre. En réalité, suivant la loi rabbinique, les terres cultivées par les Arabes appartiennent, dans leur immense majorité, aux Juifs, et toutes les lois relatives à la jachère valent également pour elles. De plus, suivant la loi rabbinique quasi unanimement agréée, les terres conquises deviennent, de droit, notre propriété, celles conquises lors de la Guerre de l’Indépendance et celle des Six Jours. Même l' »Admor » de Satmer, connu pour sa farouche opposition à l’Etat d’Israël, reconnaît le droit de propriété de notre pays sur la terre. En ce sens, en accord avec d’autres Décisionnaires, il estime qu’on ne doit acheter que les produits agricoles cultivés par des non Juifs qui n’habitent pas Israël, (suivant les frontières définies par la loi rabbinique). Quoi qu’il en soit, le « héter mékhira » a été observé durant dix-sept jachères et permet de se montrer souple sans s’engager dans des problèmes complexes de législation rabbinique.

En ce qui concerne la procédure dite du « otsar beth din » (l’entrepôt du tribunal), elle pose, elle aussi, des difficultés. Nos sages ont enseigné le fonctionnement de cette institution. Au début, expliquent-ils, le tribunal envoyait des messagers dans les villages, prenaient les produits qu’apportaient les agriculteurs et les emmagasinait dans les entrepôts de la ville, leur laissant l’équivalant de trois repas. A l’époque de la récolte des figues, des olives, du raisin etc., les envoyés du tribunal louaient de la main-d’œuvre pour faire la cueillette des produits en question, les conditionner et les emmagasiner. La veille de Shabbat, le tribunal les distribuait, en quantité variable, suivant la grandeur des familles (cf. « Tocephta » « Shévi’it », 1-2).

De nos jours, le « otsar beth din » procède comme suit : on nomme « envoyé du tribunal » l’agriculteur lui-même ; on ne le rétribue pas pour les produits agricoles mais uniquement pour « ses efforts », (au sens large du mot, qui prend également en compte le travail et les frais d’irrigation, par exemple,) qu’il s’est donné. On comprend donc que cette procédure pose aussi des problèmes.

1. Maïmonide, ainsi que les Décisionnaires qui ont vécu après lui, n’ont pas statué suivant la « Tocephta » ci-dessus mentionnée. Il faudra attendre notre époque pour que le ‘Hazon Ish » institue ces dispositions.

2. La « Tocephta » en question ne parle pas de rétribution, les produits agricoles de la jachère étant « hefker » (laissés à la discrétion de tous). Or l’idée de rétribuer « l’effort » est véritablement un « ‘hidoushe » (nouveauté).

3. Si la rétribution concerne uniquement « les efforts », les produits de bonne ou de mauvaise qualité auraient dû valoir le même prix. Affirmer que ceux-là ont demandé beaucoup plus de labeur que ceux-ci, est aussi un grand « ‘hidoushe ».

4. La même constatation vaut pour le fait de nommer l’agriculteur en personne, pourtant partie prenante. Cette procédure est donc aussi problématique, moins, cependant, que celle d’acheter les produits agricoles aux non Juifs.

C’est pourquoi suivons fidèlement et simplement celle du « héter mékhira », instituée par les plus grands Décisionnaires et observée depuis dix-sept générations. De la sorte, nous renforcerons l’économie de « nos frères », affirmerons notre domination sur Eretz-Israël et notre foi dans les décisions de nos Maîtres.