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Rabbi Feuillet hebdomadaire
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F – Paracha « A’haré-Mot Kédoshim »

N° 614 Paracha « A’haré-Mot Kédoshim » – 10 yar 5767 – ב »ה

RAV SHLOMO AVINER

UNE HISTOIRE TOUTE SIMPLE

(Traduit et adapté par Maïmon Retbi)

Tout avait commencé par un appel à l’aide sur l’Internet. J’étais désespéré et n’avais aucun moyen de subsistance.

Miracle ! Il me répondit et grâce à une correspondance d’un an et demi, il me redonna courage, m’apprit à m’apprécier de nouveau, me rendit le goût de vivre, me permit de surmonter ma crise et fit de moi un jeune homme stable et heureux. Très souvent, je craignais de l’importuner par mes petits problèmes quotidiens, mais il me répondait si chaleureusement que je ne voyais pas d’inconvénients à lui en faire part.

Mon bienfaiteur ne se contentait pas de me réconforter. Chaque fois que j’avais besoin d’un emprunt, il me l’accordait et le transformait en don sans jamais rechigner. Je ne suis pas dépensier mais je viens d’une famille pauvre ; les soins médicaux et les frais d’études sont très onéreux ; je sais bien que « Qui hait les présents vivra » (Prov. XV, 27). J’avais honte de les recevoir d’un simple mortel mais il me les donnait avec tant de chaleur que je ne pouvais pas les refuser. « Je suis riche, me disait-il, je ne sais pas quoi faire de mon argent. Si Dieu m’en a donné, ce n’est pas pour le garder jalousement mais pour en faire profiter les autres. » Mon amour pour ce correspondant grandissait de jour en jour. Une chose me gênait, je ne connaissais pas le nom de mon ange salvateur et il refusait constamment de me le dévoiler. «  Peu importe si vous ne me connaissez pas, je suis très heureux de vous aider. »

Je ne pouvais plus continuer ainsi, sans connaître l’identité de celui à qui je devais tout. J’insistais avec tant d’assiduité que je fus exaucé. Il s’agissait d’une jeune fille de mon âge et de mon milieu culturel. Soudain, d’un seul coup, mon univers prenait une tout autre forme. Dieu me l’avait destinée depuis toujours, cela ne faisait aucun doute ! Sans plus tarder, je donnais des coups de téléphone pour m’enquérir de sa personnalité, une jeune fille en or. Certes, lorsqu’on me répondait, je sentais une certaine hésitation mais, en définitive, ils faisaient tous son éloge.

Avec tact, j’osai lui faire comprendre que je voulais lui demander sa main, requête qu’elle déclina avec véhémence ; elle la jugeait incongrue, ajouta-t-elle résolument. Cependant, elle continuerait à m’aider avec joie, je ne serai pas seul, mais la demande était insensée.

Je ne désespérais pas, le temps a sa dynamique propre. Chaque jour, les mots affichés sur l’écran me délivraient de ma détresse. Je sentais que je m’attachais à elle de plus en plus et osai demander : « Nous correspondons depuis si longtemps ! Le moment ne serait-il pas arrivé de parler par téléphone ? Laissez-moi… entendre votre voix » (Cant. II, 14). Elle déclina poliment l’invitation puis finit par me donner satisfaction. De l’autre côté du fil, une voix horrible se fit entendre, enrouée et brouillée, une voix de sorcière. Dépité, je me ressaisis néanmoins sur le champ. Peu à peu, je m’y accoutumais au point de ne plus entendre que son contenu agréable. « Ce qui sort du cœur entre dans le cœur » (Sources, passim). Je rêvais de me marier avec elle mais elle refusait. Néanmoins, son opposition diminueait peu à peu, j’étais optimiste, le temps fera son travail et consolidera nos liens.

« Laisse-moi voir ton visage » (ibid.), osai-je lui demander. Effarouchée, elle refusa. « On ne peut pas se marier, enseignent nos Sages, sans avoir vu (préalablement) la femme en question », ce à quoi elle consentit après bien des refus. « Ce soir, à dix heures, je passerai en face du supermarché en complet bleu clair. Quand vous m’aurez vu, vous ne voudrez plus vous marier avec moi, mais je ne m’en offusquerai pas et continuerai à vous aider selon vos besoins. »

Le cœur battant violemment, je m’asseyais sur un banc de l’autre côté de la rue. Elle passa subrepticement puis disparut. Je tremblais d’épouvante et faillis m’évanouir. De ma vie, je n’avais jamais vu une créature aussi effrayante ! Un corps et un visage déformés au possible, une vraie sorcière sortie d’un autre monde. Elle avait remarqué mon désarroi et s’était caché le visage. Moi, je restais seul sur le banc, immobile durant plusieurs heures, les plus pénibles de ma vie. Pourtant, me disais-je, « Mensonge que la grâce, vanité que la beauté, la femme qui craint l’Eternel est seule digne de louanges » (Prov. XXXI, 31). Ce n’était pas une femme, c’était un monstre ! Moi, je n’étais qu’un être humain. Je ne pouvais pas résoudre son problème. D’ailleurs, étais-je responsable de son terrible accident ?! Elle non plus ! Cela change-t-il sa personnalité ? Tu n’as ni cœur, ni conscience ni morale ! Qu’as-tu fait de tout ton amour ? Qu’est devenu ton sens de la dignité humaine ?

Déjà près de trois heures que je suis sur ce banc à me torturer. Ma tête va éclater. Elle était toujours là pour m’aider lorsque j’étais en détresse ! Cette fois-ci, je suis seul avec moi-même, impuissant, au bord de la folie.

Une heure du matin. Je lui téléphone, elle répond immédiatement, attendant ce que j’ai à lui dire. « Je n’aurais pas dû m’effrayer de ton apparence ! Je te prie de m’excuser, cela ne recommencera plus !

Alors, pour nous deux, commencèrent des jours heureux, je ne voyais plus que son cœur, généreux. Sur le banc, en face du supermarché, nous faisions des projets sur la couleur de notre chambre et le prénom de nos enfants à venir. Les passants nous regardaient d’un regard oblique avec, sur le visage, l’expression du ressentiment ; nous ne nous en soucions guère !

La première épreuve véritable se présenta, la rencontre avec mes prarents. A la vue de la jeune fille, ils se replièrent sur eux-mêmes et gardèrent obstinément le silence. Elle me regardait comme pour invoquer mon soutien ; moi, je lui souriais. Je la raccompagnai chez elle. De retour, j’affrontai le feu croisé de mes parents. « Serais-tu devenu fou ? Te marierais-tu avec un monstre ? Et que vont dire la famille et les amis ?! Fais-nous confiance, nous ne voulons que ton bien. Tu ne tiendras pas le coup. » Sans perdre contenance, je leur expliquais qu’elle m’avait sauvé, que je lui devais tout et que, si je la quittais, je ne serais plus un homme. Ils ne voulaient pas me lâcher ; je laissai échapper une phrase que je n’aurais pas dû dire : « Elle, au moins, était à mes côtés. » Furieux, ils claquèrent la porte en me disant : « C’est fini entre nous ! »

Je restais sur mes positions, repoussant victorieusement les attaques de ma famille et de mes amis, devenu un cheval de bataille aguerri. Lorsque je leur demandais : « L’important est-ce l’extérieur ou l’intérieur ? » Ils ne savaient plus quoi répondre. Ainsi, j’avais triomphé de tous mes ennemis, ou presque, le plus résistant, ma perplexité et mes tourments. Je ne m’avouais pas vaincu. Nous nous rencontrerons à la « Rabanout » (bureau d’inscription pour les mariages). Son visage s’éclaira mais se brouilla d’un nuage. « Si tu ne viens pas, j’en mourrai ! »

Par trois fois, je différais la rencontre. Bien sûr, je m’y rendrai, lui dis-je, mais je la repoussais constamment. J’avais tout simplement oublié ; mon père venait de tomber malade ; j’avais un examen ; ma vespa était tombée en panne. Lorsque je m’en souvins, j’allais au plus vite à la « Rabanout. » Une jeune fille m’y attendait depuis deux heures, me dit-on ; et comme elle s’est évanouie, on a dû appeler l’ambulance pour l’emmener aux urgences. Comme un fou, je me précipitais à l’hôpital. Elle gisait là, comme morte. Je lui parlais mais elle ne répondait pas. Penché au-dessus d’elle, j’éclatais en sanglots. J’avais eu un empêchement, l’assurais-je. Elle ouvrit les yeux et se mit à parler faiblement. Je me promis que cela n’arriverai jamais plus. Cependant, l’ennemi qui était en moi m’attaquait de plus belle, combat de l’intérieur contre l’extérieur, de l’âme contre le corps, de l’éthique contre l’esthétique. Je me réveillai comme d’un hideux cauchemar. Nous étions mariés, et voici qu’elle me répugne. Une bonne fée vînt briser l’envoûtement et soudain « Tu es toute belle mon amie et tu es sans défaut » (Cant. IV, 7. Puis, sorti de ma torpeur, je me sens profondément frustré. Dans la réalité, ces miracles n’arrivent jamais.

Le jour du mariage, mon alter ego rassemble toutes ses forces. Moi, je me mets en position d’encaisser. Quelle chance ! Sous le dais nuptial, un double voile cache le visage de la jeune mariée. Soudain, elle glisse dans ma main une petite photo, l’image de ce qu’elle était avant l’accident. Comme hypnotisé, je la regarde sans parvenir à y détacher mes yeux.

Mon père m’étreint et me chuchote à l’oreille : « Voilà ce qu’elle sera dans la prochaine réincarnation ! » Je levais mes yeux vers elle et lui souris, j’étais authentiquement heureux.