N° 537 Paracha « Noa’h » – 3 mar’héshvan 5766 – ב »ה
RAV DOV BIGON
DE LA TRISTESSE A LA JOIE,
« DONNE-NOUS DES JOURS DE SATISFACTION
AUSSI LONGS QUE LES JOURS OU TU NOUS AS AFFLIGES
Adam et Eve ont reçu pour châtiment la tristesse : « A la femme, Il dit : « J’augmenterai grandement ta douleur et ta grossesse. Tu enfanteras dans la douleur » (Gen. III, 16). « A Adam, Il dit : « Tu as mangé de l’arbre à propos duquel Je t’avais donné un ordre explicite, te disant : ‘N’en mange pas’. Le sol sera donc maudit à cause de toi : tu en tireras la nourriture avec souffrance tous les jours de ta vie. Il produira pour toi des épines et des ronces et tu mangeras l’herbe des champs » (ibid. ibid. 17-18). En revanche, Noa’h prend sur lui de « réparer » la tristesse qui, jusque là, avait affligé l’humanité, d’où son nom ((qui renvoie à l’idée de réconfort, de soulagement) : « Il (Dieu) l’appela Noa’h, disant : « Celui-ci nous apportera un soulagement de notre tâche et de la souffrance (littéralement, « de la tristesse ») de nos mains, causées par la terre que Dieu a maudite » (ibid. V, 29). Et Rachi d’expliquer : « Avant Noa’h, on ne connaissait pas la charrue, c’est lui qui l’a inventée ; (jusque là), lorsqu’on semait du blé, on récoltait des ronces et des épines, suite à la malédiction d’Adam (relativement à la terre). A l’époque du Juste, elle a fait place au « réconfort » (« Na’h ») (Rachi ad loc.).
Par l’invention de la charrue et la technique de l’attelage, il a soulagé la vie de l’homme et le travail de la terre, pénible et frustrant, semer du blé et récolter des ronces. Néanmoins, il n’a pas rendu la joie. D’ailleurs, dès qu’il est sorti de l’arche, il a oublié dans l’alcool la dure réalité : « No’ah commença par cultiver le sol et il planta une vigne. Il but de son vin, s’enivra et se découvrit dans sa tente » (ibid. Ix, 20-21).
Il faudra attendre Abraham, « l’homme de la Générosité », « l’élu et l’aimé de Dieu », pour que réapparaisse la joie inhérente à Adam au Paradis, avant la Faute : « Abraham tomba sur sa face et rit » (ibid. XVII, 18). « Et rit », explique le « Targoum » (Traduction en araméen de la Thora à valeur exégétique) renvoie à l’idée de « joie ». C’est pourquoi l’Eternel ordonna au grand Patriarche d’appeler son fils « Its’hac » (« il rira »). Dès lors, Abraham puis ses descendants authentiques, Israël, oeuvrent pour réhabiliter la joie originelle. Deux mille ans de chaos et de tristesse, deux mille ans de Thora et, enfin, deux mille ans pour préparer l’avènement du Messie, comme l’enseignent nos Sages avec, pour paroxysme, la joie retrouvée, pour le bien de l’humanité tout entière, « joie éternelle sur leur visage » (Traité « Shabbat », 88 a sur Is. XXXV, 10).
Ceci étant : l’histoire de l’humanité travaille à récupérer cette joie métaphysique, perdue avec la Faute d’Adam. Elle la retrouvera à la Fin des Temps dans toute sa plénitude, comme il est dit : « Les rachetés de l’Eternel reviendront ainsi et entreront dans Sion en chantant, une joie éternelle sur leur visage ! » (Is. XXXV, 10).
Certes, la technologie –introduite dans l’humanité par Noa’h- soulage la vie. Mais, aussi développée soit-elle, elle ne saurait procurer la félicité. Celle-ci ne s’obtiendra que par l’aspiration aux valeurs morales dans leur plénitude, à l’amour et à la foi.
Abraham incarnait tellement la joie qu’il a appelé son fils du nom de ce sentiment. Il la portait en lui non seulement parce qu’il aimait et croyait en l’Eternel mais aussi parce qu’il veillait jalousement à inculquer ces principes à sa maison : « Je (l’Eternel) sais qu’il ordonnera de (les) inculquer après lui et qu’ils garderont la voie de Dieu, en pratiquant la charité et la justice. Dieu apportera alors à Abraham tout ce qu’Il a promis » (ibid. XVIII, 19), héritage spirituel qui s’est effectivement perpétué au sein du « peuple éternel »;
Par-là, comme souvent mentionné, le grand Patriarche est devenu source de bénédiction pour l’humanité tout entière. Durant toutes les années où notre rayonnement était éclipsé par l’exil, cette joie était comme cachée. Mais elle se dévoilera finalement. « Donne-nous des jours de satisfaction aussi longs que les jours où Tu nous as affligés, que les années où nous avons connu le malheur » (Ps. XC, 15).
Dans l’attente de la Délivrance pleine et entière.
RAV SHLOMO AVINER
RAV TSEFONI
« Entrez », dis-je à celui qui venait de sonner à ma porte, personnalité imposante, sympathique, en chemise blanche, une grande « kippa » de Shabbat, une barbe bien fournie et un large sourire, tout moi quand j’étudiais en Yéshiva (Académie religieuse).
Bonjour ! A qui ai-je l’honneur ?
Tséfoni, Rav Tséfoni !
Enchanté ! Entrez, je vous prie, et veuillez vous asseoir.
L’hôte de marque ouvrit un dossier.
Je suis venu vous aider et vous donner des conseils, tout simplement.
Que me vaut ce privilège ?
Vous êtes resté dans mon cœur depuis l’époque où nous apprenions ensemble à la yéshiva. Ne vous en souvenez-vous pas ? Peu importe. Mais commençons par ce qui vous est le plus proche, votre chère épouse. Assurément, une femme extraordinaire, mais qui a un point faible, un certain manque de pudeur.
Je soupirais.
Oui, continua le Rav Tséfoni. C’est par la pudeur que le monde se maintient, c’est par elle qu’il se détruit (d’après Ps. XXCI, 3). Bien dommage que son couvre-chef ne soit pas tout à fait kacher. Pourquoi ne lui en avez-vous pas fait la remarque ?
Si, mais, offusquée, elle s’est renfermée sur elle-même.
Et alors ! C’est votre devoir. Les femmes, il faut les tenir court, c’est une obligation. Ne cédez pas sinon cela empirera !
Effectivement, j’en ai l’impression.
Vous voyez bien que j’ai raison ! Restez sur vos positions. Les femmes sont faibles. Ce qu’il faut, c’est de l’énergie et non pas des sourires.
Sincèrement, vous faites bien de m’encourager, dis-je avec hésitation.
Dans ce domaine, avec les femmes, les sourires ne sont pas de mise. Connaissez-vous Pénina Gerber ?
Oui, de mon travail. Une jeune femme bien à plaindre !
Vous devez l’encourager et la soutenir, tout n’est pas rose dans son ménage.
Une fois, j’ai parlé avec elle. Elle a déversé son cœur mais je l’ai arrêtée, ce n’est pas pudique.
Quel rapport avec la pudeur ? Il ne s’agit pas d’une conversation triviale mais pour la bonne cause, motivée par la générosité. Par elle le monde sera construit (d’après Ps. XXCI, 3), c’était l’occasion de discuter en profondeur.
Je l’ai ressenti ainsi mais je n’ai pas osé.
C’est pourquoi je suis venu.
Mais d’où connaissez-vous si bien tous mes petits secrets ?
Réellement, l’ignorez-vous ? dit-il avec un sourire mystérieux et enjoué. Mais passons à un autre sujet, pas moins important, vos parents. Là encore, vous êtes bien faible avec eux. Chez vous, vous mangez ultra kacher mais chez eux, pourquoi ces concessions ? Manger sans trop regarder ?
C’est kacher !
Kacher ! Savez-vous bien ce que cela veut dire ? Dites-leur fermement : « Si ce n’est pas ultra kacher, nous ne venons pas chez vous, point ». Loin de s’offusquer, ils apprécieront davantage encore votre position. Et s’ils s’en offusquent, c’est leur problème. Vous leur faites du bien, ils doivent vous en savoir gré. Le respect dû aux parents ne repousse ni l’obligation de garder Shabbat ni celle de manger kacher.
Vous avez raison, je suis trop mou.
Oui, voilà notre problème à nous, Nationaux Religieux. Nous prenons tout par-dessus la jambe et n’osons pas dire tout haut : « La Thora d’abord ! »
Mais, à nouveau, excusez mon insistance, d’où savez-vous tout cela ?
Ne vous l’ai-je pas déjà dit ? J’étudiais avec vous à la yéshiva.
Vraiment, je ne m’en souviens pas. Quoi qu’il en soit, j’apprécie hautement votre sollicitude. Pour ne rien vous cacher, je m’offusque lorsqu’on me fait des observations, cela me blesse et me révolte ; mais vous, vous parlez avec tant de délicatesse !
Ne vous méprenez pas sur mon compte. Je sais aussi être très agressif quand il le faut et prendre une tout autre forme, j’en possède sept.
Que signifient ces propos sibyllins ?
Non, c’est très simple. Je remplis ma mission sous différentes métamorphoses. Avec vous, je peux parler poliment, un vrai plaisir.
Merci pour le compliment ! Vous me comprenez si bien, et si profondément !
J’étais encore là lorsque vous avez eu un entretien particulier avec le directeur de la yéshiva ; ce que vous appreniez, je l’apprenais avec vous.
Arrêtez, je vous prie, de parler par énigmes. Une fois pour toute, qui êtes-vous ?
Entre nous, ne me reconnaissez-vous pas ? dit-il avec un rictus satanique, je suis votre mauvais penchant !
Vous, qui semblez si délicat, si intelligent et si juste ?!
Précisément, c’est tout l’art. Je suis le mauvais penchant, « dissimulé » (« tsafoun ») en vous, qui se déguise en bon penchant. Je porte bien mon nom, Rav Tséfoni (idée de dissimulation).
Avec tous mes meilleurs vœux de malheurs !
Il est dit : « Ce (fléau) venu du Nord (autre lecture : « ce dissimulé »), Je l’éloignerai de vous » (Jo. II, 20). Dans le sens de notre propos, le Talmud explique : « Ce « dissimulé » (« tsafoun »), dans le cœur de l’homme » (Traité « Sota » 52 a).
« Ce genre de mauvais penchant se retrouve chez les gens justes, pieux et zélés, il est le plus dangereux de tous. Camouflée, dissimulée, cette forme du mauvais penchant vit, pour ainsi dire, dans la clandestinité. Et, sous couvert d’agir au Nom de l’Eternel, elle commet les pires transgressions, médire de son prochain, mépriser les érudits en Thora et engager des controverses, par exemple » (Rav Tzvi Yéhouda Kook, « Causeries sur le « Sentier de Rectitude », Chapitre V, §4 « ‘Hovéret », page 132 ; cf. également les « Entretiens » du grand Maître sur « Dévarim », 474. « Aroukh léner Al Soukot » ad loc. ; Ch. ‘A. « Méchiv Davar », Partie III, §10).
(Traduit et adapté par Maïmon Retbi, spécialisé dans les sujets kodech, hébreu/français)
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